mardi 19 janvier 2010

Pour en finir avec la "théorie unifiée"

La théorie unifiée, et ce qui gravite autour... Je vous fais part de quelques pensées personnelles sur le sujet, même si je ne suis pas scientifique moi-même. Mais on peut quand même s'intéresser à ces domaines et en parler si on a quelque chose à dire, ce n'est pas interdit. Je réfléchis à cette notion de théorie unifiée depuis un certain temps, à force de l'avoir vue ici et là au fil des années et au travers de lectures diverses, ouvrages de vulgarisation et autres... J'y ai encore pensé le dimanche 17 janvier 2010, et j'en suis arrivé à une conclusion peut-être provisoire mais que j'arrive enfin à exprimer verbalement.

Dans l'ordre ou le désordre de mes réflexions, d'abord une remarque générale: vouloir à tout prix unifier les lois de la physique n'a aucune utilité évidente, aucune conséquence pratique intéressante, rien qui puisse résoudre le problème de la faim dans le monde, de la déforestation ou de la pollution de l'eau. L'intérêt d'une telle théorie serait d'un autre ordre: résoudre ce que les théoriciens de la physique considèrent comme une incohérence dans leurs modèles - le fait que quand ils passent de la physique quantique à la théorie de la relativité, ça ne "colle" pas. Or je prétends que cette incohérence n'existe pas et je vais tenter brièvement d'expliquer pourquoi, à mon avis, il n'est pas nécessaire ni pertinent de faire "coller" ensemble ces deux modèles.

Au cœur de la tentative d'unifier les lois de la physique, une interrogation récurrente: pourquoi la gravitation est-elle si faible par rapport aux autres forces fondamentales? Dans le développement de la physique théorique, des réponses très complexes ont été avancées, faisant appel à d'hypothétiques dimensions supplémentaires. Je ne vais pas revenir là-dessus, ce n'est pas mon propos. Il s'agit de modèles séduisants, fascinants même. Mais j'en suis arrivé à une tout autre réponse, en essayant de comprendre ce qui peut différencier la gravitation des autres forces. Et j'ai eu une intuition, difficile à exprimer, basée sur un constat très simple: si la gravitation est la force la plus faible, c'est aussi la plus universelle. Non seulement on la retrouve partout, mais on peut l'expérimenter sans arrêt dans notre quotidien. On n'a même pas besoin d'un objet à portée de la main, notre corps suffit. Cette universalité est structurelle. On peut certes dire la même chose de toute force dans la mesure où elle implique l'interaction entre deux objets, mais c'est encore plus vrai dans le cas de la gravitation.

Dire que la gravitation contribue à structurer notre univers et tout ce qui s'y trouve, c'est lui reconnaître un rôle, une fonctionnalité physique. C'est aussi voir en elle la mobilisation de ressources, comme dans toute force. Il faut prendre en compte le fait que l'énergie contenue dans notre univers est probablement limitée, à l'instar des ressources naturelles de notre planète. Les forces fondamentales ne peuvent pas "flamber" l'univers, sous peine de l'épuiser et de s'épuiser avec lui. Or la fonction de cohésion assurée par la gravitation est sans commune mesure. Seule la gravitation fait en sorte que les choses tiennent, que les corps ne s'écrasent pas les uns sur les autres et ne sombrent pas dans le chaos. Cette cohésion est susceptible d'exister absolument partout. C'est sa faiblesse même. Mais c'est aussi, tout simplement, la répartition plus grande d'un même effort.

Les autres forces fondamentales sont plus fortes parce que leur champ d'action est plus limité. Pouvant se concentrer plus localement, là où on les rencontre elles sont plus fortes. La gravitation étant plus "diluée", c'est ce qui explique sa faiblesse. Plus une force est universelle, plus elle est faible mais plus important aussi est son rôle de cohésion. La différence entre les forces fondamentales est peut-être une différence de degré. On a voulu identifier les différentes particules comme des objets distincts, alors que ce sont peut-être avant tout des états distincts, correspondant à des degrés d'intensité différents sur une échelle d'interaction.

Dès lors, l'interrogation initiale sur le "pourquoi" de la gravitation prend une autre tournure, si on compare les forces comme on compare des températures différentes, des densités différentes ou des volumes différents. La question serait, plus généralement: pourquoi existe-t-il des dénivellations dans notre univers? Parce que l'énergie contenue dans l'univers n'est pas répartie partout de la même façon. Et pourquoi cette différence de répartition? Parce que les objets sont en formation, et que leur structure varie dans ce champ d'interactions que nous nommons l'espace - le concept de temps, qui lui est intimement lié, ayant été introduit pour mesurer ces variations comme autant de décalages, d'irrégularités dans la structure de l'univers et de différences de répartition des forces en présence.

Toute variation nous ramène au temps, toute variation d'échelle aussi et c'est là que je veux en venir. Les essais de "théorie unifiée" reposent, à mon sens, sur une erreur: celle de décrire conjointement l'échelle quantique et l'échelle macrocosmique comme des phénomènes contemporains. Il ne vous est jamais venu à l'idée que quand on change d'échelle dans l'espace, on voyage aussi dans le temps? Que quand vous essayez de voir ce qui se passe à une plus petite échelle, vous vous déplacez quelque part, vous changez de milieu, et que plus vous allez loin dans ce sens, plus vous changez aussi d'époque? Que plus vous vous rapprochez du seuil où vous pouvez espérer "voir" une particule, plus vous vous rapprochez d'un état de l'univers plus proche des origines de celui-ci que de notre époque?

Les relations intimes entre l'espace et le temps concernent aussi les différences d'échelle "petit/grand". De même qu'on ne se rend pas compte, sur les courtes distances que nous parcourons tous les jours à l'échelle de notre planète, que nous voyageons aussi dans le temps, de même on ne se rend pas compte que deux objets: un petit et un grand, n'évoluent pas dans la même temporalité. Il ne nous viendrait pas à l'idée que le temps d'une mer est différent de celui d'un océan, car les différences de temporalité entre ces deux milieux sont minimes. Et pourtant, quand on a deux espaces ou deux milieux différents, on a aussi deux temps différents. Et deux structures différentes, une petite et une grande, évoluent chacune dans un espace différent qui leur est propre, donc dans une temporalité différente - donc à une autre époque. Une échelle, c'est un milieu spatio-temporel. Autre échelle, autre espace, autre temps, autres lois. Toute théorie unifiée des lois de la physique dans un même univers, le nôtre, serait un non sens, comme chercher à expliquer pourquoi les humains et les dinosaures ne se rencontrent jamais, eux qui évoluent pourtant sur la même planète - sur la même planète oui, mais à quelle époque?

D. H. T.

Ruptures épistémologiques

En relisant "Les mots et les choses" de Michel Foucault, j'ai retrouvé le fil des grandes étapes de l'évolution philosophique, scientifique et culturelle de ces derniers siècles:
- le savoir à la fois "pléthorique et pauvre" hérité des siècles du Moyen Age: l'énumération, l'exhaustivité, l'érudition, la symbolique du grand livre du monde;
- puis le passage à l'organisation classique de la pensée et la recherche logique d'un accord entre le monde et l'ordre du discours;
- puis, enfin, le passage à une problématique moderne de l'être humain, la réflexivité du discours ayant finalement ouvert la voie à une approche plus descriptive que normative du phénomène humain lui-même: la linguistique sémiologique ou sémiotique comme paradigme de référence pour les autres pratiques et institutions que sont devenues les sciences humaines - les sciences humaines symbolisées, sur la couverture de l'édition Gallimard, par les Ménines de Velasquez, tableau d'abord mis à contribution pour expliquer les mécanismes profonds de la pensée classique et ouvrant ainsi la voie à des ouvrages plus tardifs tels que "De la représentation" de Louis Marin qui mettra en lumière, entre autres, le fait que l'inconscient de Bourdieu est très différent de l'inconscient de Freud.

On aurait eu l'évolution suivante, avec des ruptures à chaque fois, des ruptures dans les fondements même de l'idée de science, des ruptures épistémologiques - et anthropologiques également:
- livre de Dieu / livre du monde;
- ordre du discours;
- problème de l'être humain.
Mais après?... Car on peut supposer:
- soit que la question même d'un après (au sens: prochaine rupture épistémologique) relève d'une époque de la pensée qui était celle de Michel Foucault et qui, paradoxalement, ne fait déjà plus sens aujourd'hui au regard de l'évolution des mentalités collectives (mais y a-t-il proprement une mentalité collective? par définition la société n'a pas de cerveau pour penser, contrairement aux individus);
- soit que, au contraire, cette question fait sens si on admet l'idée même d'une évolution post-Foucault (ou, plus généralement: post-structuraliste, post-déconstructionniste, post-post-moderniste).

Il semblerait alors que la problématique suivante résulte d'un nouveau déplacement de l'axe du savoir en admettant que le savoir soit centré autour d'une notion phare ou d'un ensemble de notions, d'axiomes, de postulats, de paradigmes. Le progrès technologique aidant, et avec lui le progrès cybernétique, informatique et relatif à l'intelligence artificielle, on serait passé, depuis les années 1970, d'une science axée sur l'homme à une science axée sur l'information, la connaissance et les processus d'acquisition des connaissances, c'est à dire sur la cognition - pas seulement propre à l'homme mais aussi à la nature biologique, à l'espace physique et aux machines, voire à une synthèse nano-technologique ou autre du naturel et de l'artificiel.
D'où, en résumé, le schéma d'évolution suivant:
- premier temps: sciences hermétiques;
- deuxième temps: sciences classiques;
- troisième temps: sciences humaines;
- quatrième temps: sciences cognitives.
Mais la notion de rupture n'empêche pas, en même temps, la notion de survivance archéologique des différentes strates de la pensée occidentale récente et de son Histoire: il y a toujours une part d'archaïsme, de classicisme et de modernité qui continuent d'opérer, parallèlement ou conjointement, dans le cheminement de la pensée à l'échelle individuelle comme à l'échelle collective - avec des fractions chaotiques, des sauts quantiques, des dénivellations, des régressions, des fulgurances, des retours en arrière et sans doute une atomisation de la culture à mesure que les savoirs se spécialisent de plus en plus. D'où la difficulté, aussi, de reconstituer un "grand récit" et pas uniquement pour les raisons suivantes:
- parce que nous manquons de recul par rapport à notre époque;
- parce que les crises économiques, démographiques et environnementales coïncident avec une mise en cause des institutions scientifiques, universitaires et politiques dans leur légitimité historique;
- parce que nous sommes littéralement débordés par l'information.

D. H. T.