jeudi 3 octobre 2024

Quae circa scientiam disputationem provocat

C'est un fait connu depuis longtemps, la politique seule ne fait pas débat : la science aussi, entre autres. Penser à la science de son temps est évidemment, de manière concomitante, une préoccupation lourde de sens politique. Ceux qui fustigent le complotisme (oubliant, selon le mot du Docteur Philippe Ploncard d'Assac et d'autres commentateurs avisés de l'actualité : Jérôme Bourbon, Vincent Reynouard, Yvan Benedetti et d'autres, qu'il n'y a de complotisme que parce qu'il y a des complots) ne citent généralement pas deux ouvrages théoriques essentiels, parmi d'autres classiques désormais, pour comprendre le problème de la probité des institutions et de la crise de confiance suscitée à l'avenant : La condition postmoderne de Jean-François Lyotard (qui explique, d'une certaine façon, les mécanismes par lesquels formation, recherche, développement et administration se sont détournés des idéaux modernes de progrès global pour céder le pas aux voies de promotion carriéristes), et Le nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski (dévoilant la tournure orwellienne prise par l'injonction collective de masse qui allait devenir le "tout connecté" ainsi que nous le connaissons depuis que tout un chacun ne décolle plus de son smartphone). 

Si l'on ajoute à cette double grille de lecture la notion, tout ce qu'il y a de plus réaliste, de guerre économique, voilà démasqué le contexte des prétendues pandémies de type Covid-19 (et des prétendus vaccins apparus, comme par miracle, quelques mois plus tard). Y a-t-il fondamentalement une différence de nature entre convergence d'intérêts et complot ? Non, si l'on admet que les protagonistes concernés s'entendent contre un tiers (le grand public, en l'occurrence). Dès lors, Umberto Eco a-t-il réellement fourni l'outillage conceptuel permettant d'en finir avec les théories du complot ? Pas davantage, car les faits montrent une ténacité qui dépasse le raisonnement. Puisqu'Internet est un outil qui tend à se retourner contre ses premiers promoteurs (grâce, précisément, aux complotistes ou, en tout cas, aux esprits critiques), l'internaute n'a qu'à croiser les références citées avec une reconstitution patiente du puzzle des éléments factuels (en priorité attestés comme tels sur des sites, français ou étrangers, tout ce qu'il y a de plus officiels), pour confondre la doxa des grands médias.

Là où Eco s'est montré plus utile, c'est dans la démystification de René Guénon et consorts, soit de l'indigence des rapprochements symboliques sur la base d'analogies simplistes, érigées en culture pléthorique dont les bases intellectuelles (encodage et décodage par l'initiation) ne dépassent pas, dans l'ensemble, celles d'un club de bridge. Par ailleurs, a-t-on compris pourquoi l'extrême droite et ses différentes déclinaisons nationalistes s'imposent de plus en plus comme la seule voie politique à envisager pour redresser la civilisation ? Parce que c'est le cas, et parce que l'extrême droite se réfère aux fondements de la civilisation, ainsi qu'au recul historique de méthodes d'organisation qui, malgré les guerres, malgré de rudes conditions de vie, ont fait leurs preuves pendant des siècles voire pendant plus d'un millénaire. La France monarchique et catholique était prospère, construisait châteaux et cathédrales. Qui plus est, son rapport à l'État s'imposait comme un modèle, à la fois identitaire et fonctionnel, pour les autres pays. Pourquoi certains nationalistes citent-ils Guénon ? Par erreur.

En effet, il y a deux traditions concurrentes : la tradition canonique et la tradition gnostique. D'où la confusion, dans certains esprits, autour de l'idée qu'ils se font de la tradition et de sa légitimité. Pour garder l'exemple de la religion catholique (particulièrement éclairant, puisqu'au cœur de l'État tel que le génie français l'a inventé et conçu du temps des rois et des églises), la tradition canonique est celle de la révélation simple et droite, accessible d'emblée à tous les fidèles (ce qui n'empêche pas un effort personnel d'apprentissage et de compréhension), au contraire de la tradition gnostique basée sur une initiation dédaléenne ayant pour résultat factuel et confirmé de littéralement perdre les esprits. Promener les adeptes de symbole en symbole fait donc de l'hermétisme ésotérique une manipulation mentale. C'est ce que des auteurs comme Philippe Ploncard d'Assac, Étienne Couvert et d'autres ont mis en exergue, de manière dûment documentée. L'Église elle-même, infiltrée par l'adversaire judéo-maçonnique, tend à se dissoudre (devenue malheureusement tolérante en matière de mœurs et d'immigration, malheureusement car au détriment de la loi naturelle qui fait la force des nations).

À la croisée de la politique et de la science, la véritable question, en termes de rupture épistémologique, est, en l'occurrence, celle du positionnement stratégique par rapport aux modalités de communication. Cherche-t-on à éclairer, ou à égarer ? Veut-on adapter son regard aux spécificités pour aiguiser la fiabilité des connaissances, ou unifier grossièrement (le monde en politique, les théories en science) pour mieux détruire les identités ? On voit que les deux questions sont liées. Citons deux exemples pour illustrer cette problématique. Le premier exemple est celui de la tentative désespérée d'unification des lois en physique : celles de l'infiniment grand et celles de l'infiniment petit. D'une part, une prétendue science qui se détourne du terrain pour s'enfermer dans une théorie déconnectée de la pratique n'est pas sans rappeler la dérive, spéculative, de la définition dévoyée que donne la franc-maçonnerie de la raison (au contraire de la pensée thomiste qui, articulant la foi spirituelle et la philosophie aristotélicienne, rapproche l'esprit et l'expérience au sens empirique comme au sens expérimental). 

D'autre part, et c'est l'utilité d'une certaine philosophie qui va, pour ne citer que des modernes, de Georg Wilhelm Friedrich Hegel à Albert Camus, d'avoir mis à jour le paradoxe du projet d'unité conceptuelle absolue dans son déni de la différence et donc de la division, pourtant fondamentales, entre le biais de la perception et les particularités d'un univers qui, du fait même des limitations de notre esprit, n'est perceptible et susceptible d'interagir avec nous qu'à travers des aspects partiels selon la perspective adoptée en un lieu et en un temps donnés. Le deuxième exemple est celui (avec une transition toute trouvée par rapport à ce qui précède) de ce que notre cerveau est naturellement enclin à nous permettre de conceptualiser pour appréhender le monde, comme par exemple trois dimensions d'espace et une de temps. Imaginons que l'hypercube (ou tesseract unité, doté de quatre dimensions d'espace) ait une réalité physique, que notre univers soit un hypercube. L'appréhension logique devant s'imposer, à notre niveau, n'est-elle pas dès lors celle d'une copie simultanée, dans chaque cube de cet hypercube, de la réalité intégrale sensible telle que nous pouvons la percevoir ?

Vous essayez de visualiser à quoi ressemblerait un espace à plus de trois dimensions, et comment des êtres en trois dimensions évolueraient dans un tel espace. Vous avez vu des dessins d'hypercubes, ainsi que des simulations vidéo animées, accompagnées d'explications, mais n'êtes pas totalement convaincus, car ce que nous ressentons et pensons est nécessairement lié à notre être et à ses limites. Aussi la théorie en cohérence avec cette logique serait que, par exemple, si notre univers est un hypercube, alors cela signifie encore une fois que chaque cube de cet hypercube contient, en tant qu'intégralité tridimensionnelle, une parfaite copie simultanée de ce qui est contenu dans l'autre cube. Cela veut également dire qu'il n'y a absolument aucun moyen à notre portée d'en être sûrs, car nous voyons toujours un seul cube et une seule copie de nous-mêmes. Il y aurait deux raisons pour l'expliquer : la première est que la conscience concerne fondamentalement des êtres en trois dimensions ; la deuxième est qu'il n'existe dans chaque type d'espace que des objets dédiés.

Bien entendu, c'est là une règle générale qui ferait abstraction d'un strict point de vue mathématique pouvant diverger en théorie. Mais voilà : à espace 0D, objets 0D ; à espace 1D, objets 1D ; à espace 2D, objets 2D ; à espace 3D, objets 3D ; à espace 4D, objets 4D, etc. C'est une question de perspective. Cela veut dire que ce que nous appelons communément un point, une ligne ou une feuille de papier dans un espace 3D est, d'un point de vue physique, toujours une série d'objets 3D de la même façon qu'un cube, mais avec une longueur, une largeur ou une hauteur sensiblement différentes d'un type d'objet à l'autre. Cela veut dire aussi que nous sommes des êtres 4D dans un espace 4D si notre univers est lui-même un objet 4D mais, encore une fois, nous n'en sommes pas conscients. Par ces deux exemples (l'impasse des tentatives de théorie unifiée, puis la transcendance de l'hypercube), il s'agit de montrer, de manière parlante, la finitude particulièrement appuyée de la pensée purement spéculative. À l'inverse, c'est la possibilité de réaliser des expériences qui ouvre durablement des perspectives.

Par ce détour conceptuel, susceptible de servir de socle commun dans notre manière d'aborder la science comme d'autres domaines, appliquons, précisément, ce mode de raisonnement à la politique, pour nous poser les bonnes questions. À votre avis, qu'est-ce qui relève le plus de l'expérience aguerrie ou de l'abstraction spéculative ? D'un côté, ce qui a fait la grandeur de la civilisation millénaire, par le lien maintenu avec nos interrogations sur nos origines et notre devenir, l'équilibre naturel, l'harmonie des fonctions, l'usage des inégalités permettant à chaque talent, dans une hiérarchie organisée, de s'exprimer à sa juste mesure ? Ou, d'un autre côté, deux ou trois siècles de confusion, d'absence de vision du passé ou de l'avenir, de rupture avec l'ordre des réalités locales et tangibles, de lutte des classes, de nivellement égalitariste au détriment du travail et du mérite ? Croyez-vous vraiment que la république vous a donné votre individualité comme elle vous aurait, soi-disant, donné votre liberté ? Ou ne vous a-t-elle pas, au contraire, enlevé de votre individualité ou de votre liberté déjà existantes ce qui les reliait à leurs fondements, exactement de la même façon que l'on déracine un arbre ?

D. H. T.

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